mercredi 23 juin 2010

Rive-Nord: les aqueducs risquent la sécheresse La Presse


Rive-Nord: les aqueducs risquent la sécheresse

22 juin 2010
Charles Côté
La Presse

Des travaux seront lancés d'urgence pour creuser le seuil de la rivière des Mille-Îles afin d'assurer l'approvisionnement en eau de quelque 400 000 personnes au nord de Montréal.

«Le peu de neige accumulée cet hiver ainsi que le peu de précipitations printanières sont à l'origine du niveau d'eau très bas de la rivière, a indiqué la ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP), Line Beauchamp. Si les prévisions d'un été chaud et sec se réalisent, les experts estiment que le débit de l'eau atteindra un seuil inférieur aux débits observés depuis 80 ans. Nous devons agir rapidement.»L'eau serait actuellement à un niveau comparable à ce qu'il serait à la fin d'un été particulièrement sec.Le seuil rocheux de la rivière des Mille-Îles sera creusé entre Deux-Montagnes et Laval. Le Conseil des ministres a adopté un décret pour soustraire les travaux au processus d'évaluation environnementale. Il y aura un appel d'offres sur invitation, et les travaux devraient commencer le 7 juillet.

Il y a cinq prises d'eau dans la rivière, qui alimentent 11 villes de la région. Depuis la fin du mois de mai, des interdictions d'arrosage sont en vigueur dans plusieurs villes. Il y a aussi 14 usines d'épuration qui rejettent les eaux d'égout traitées dans la rivière des Mille-Îles. Cependant, les égouts sont parfois rejetés sans traitement ou après un traitement incomplet. Normalement, le niveau de la rivière est maintenu par la gestion des barrages de la rivière des Outaouais. Cet apport d'eau fraîche permet de diluer la pollution. Mais cette solution est inefficace, puisque la majeure partie de l'eau de la rivière Outaouais s'échappe vers le fleuve Saint-Laurent.

Ces travaux, présentés comme une solution durable par la ministre Beauchamp, sont plutôt le résultat du laisser-aller des 10 dernières années, selon Guy Garand, du Conseil régional de l'environnement de Laval: «On n'a rien fait depuis 2001 pour empêcher la destruction des milieux humides et la canalisation des ruisseaux, qui accumulent et régularisent les eaux, dit-il. On ne fait rien pour préserver la plaine inondable. Pourtant, c'est comme ça que les rivières se rechargent. J'aurais aimé voir un décret là-dessus. Ou un décret pour empêcher la construction dans les trois grandes îles de la rivière des Mille-Îles. On est dans l'urgence, mais on manque totalement de cohérence.»

Même son de cloche sur l'autre rive: «C'est vrai qu'il y a urgence cette année, sauf que ce problème est connu depuis 2001, dit Martin Drapeau, militant écologiste de Boisbriand. L'urgence est un prétexte pour soustraire le projet au processus d'évaluation du BAPE, ce que je dénonce. Le gouvernement a manqué de vision, en particulier pour la protection des milieux humides.»

Le canada incapable de gérer son eau

Le Devoir 2010.06.18 par Louis-Gilles Francoeur


Le Canada incapable de gérer son eau

Deux rapports publiés hier, l'un portant sur les eaux souterraines du bassin des Grands Lacs et l'autre sur les eaux de surface de tout le Canada, démontrent que la protection de l'eau constitue un défi croissant, qui dépasse présentement la capacité de gestion des gouvernements.

Les conclusions les plus explicites dans ce domaine apparaissent dans le rapport de la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie (TRNEE), financée par Ottawa afin de réorienter les politiques environnementales et économiques.

Pour la TRNEE, «à l'échelle nationale, la gouvernance ne permet pas actuellement de réagir à l'augmentation prévue de la pression sur nos ressources en eau. Cela tient surtout à la complexité de la mécanique gouvernementale, à l'incohérence des approches à l'échelle du pays, à la fragmentation des politiques, au manque de ressources et à l'insuffisance des capacités techniques, scientifiques et stratégiques».

Cette incapacité des gouvernements à faire face aux défis de l'eau au cours du prochain siècle est d'autant plus critique que le secteur des ressources naturelles canadien accapare actuellement 84 % des eaux brutes, un pourcentage qui n'inclut pas les secteurs hydroélectrique, pétrolier et gazier. Or, précise le rapport, le secteur des ressources, qui représente 12,5 % du PIB canadien, devrait croître de 50 à 60 % d'ici 2030, ce qui exercera une pression croissante sur les ressources en eaux de surface dans plusieurs régions où leur disponibilité est déjà problématique.

Et, ajoute le rapport de la TRNEE, la gestion de l'eau est d'autant plus compliquée que cette ressource, qui appartient aux provinces en vertu de la Constitution, est notamment gérée par 20 organismes fédéraux régis par 11 mesures législatives. Si chaque province a mis en place des permis d'utilisation de l'eau, dont la valeur est variable, chacune, sauf l'Ile-du-Prince-Édouard, partage une partie de ses eaux souterraines ou de surface avec ses voisines ou les États-Unis.

C'est d'ailleurs précisément le problème de la gestion des eaux souterraines communes du bassin des Grands Lacs qu'aborde dans un autre rapport la Commission mixte internationale (CMI). Cet organisme est responsable des eaux limitrophes en vertu d'un traité canado-étasunien centenaire, modernisé à quelques reprises.

Le bassin des Grands Lacs abrite environ 20 % des eaux douces de la planète. Ses eaux souterraines sont évaluées à 4920 kilomètres «cubes», soit l'équivalent du contenu du lac Michigan! De la salubrité de ces eaux dépend la sécurité des 8,2 millions de personnes qui s'en abreuvent des deux côtés de la frontière, principalement des ruraux, sans parler des écosystèmes qui en dépendent aussi en cas de sécheresse, du bétail qui y satisfait 43 % de ses besoins, et des industriels qui en tirent 14 % de leur approvisionnement.

Mais ces eaux souterraines, qui rechargent les Grands Lacs et ses milieux humides, «obtiennent moins d'attention qu'elles ne devraient» de la part des gouvernements, selon la CMI. Il faudrait améliorer là aussi leur gouvernance en déterminant avec précision les facteurs qui jouent «sur la quantité et la qualité» et qui pourraient aussi «améliorer la surveillance et la gestion des données, réglementer l'utilisation des terres, les installations autonomes [septiques] de traitement des eaux usées, les exploitations intensives d'engraissement du bétail et les puits abandonnés» par les minières et les exploitants du pétrole et du gaz.

La CMI se dit particulièrement inquiète des problèmes de contamination des eaux souterraines par les bactéries et les virus provenant des installations agricoles, par les décharges de déchets dangereux et les milliers de puits mal bouchés. L'augmentation des rejets d'agents pathogènes, de nutriments, de toxiques chimiques, de pesticides, de métaux lourds, de produits ménagers, d'hormones, d'antibiotiques, de produits pharmaceutiques et de sels de voiries s'ajoutent à de vieilles menaces qui semblent malheureusement anodines, comme les décharges de petites municipalités rurales, les cimetières, les carcasses animales enfouies, les dépôts atmosphériques de toxiques provenant des milieux industriels, l'exploitation des sablières et carrières, l'embouteillage de l'eau et la production d'éthanol, riche en engrais et pesticides. Et cette liste n'est pas exhaustive...

Ce que la CMI voit comme problèmes dans le bassin des Grands Lacs l'amène à recommander aux gouvernements de protéger en priorité toutes les sources d'eau souterraine potable même si elles ne sont pas utilisées. Il faut aussi, dit-elle, intégrer les règles de conservation dans les règlements et les ententes sur les prélèvements d'eau. Les installations septiques autonomes devraient obligatoirement être inspectées cycliquement et mises au niveau des normes, ce que le Québec ne fait pas tout, comme il ne protège pas, sauf en surface, ses prises d'eau municipales, un autre problème soulevé cette fois par le rapport de la TRNEE.

Pour la TRNEE, les méthodes d'attribution des eaux de surface «sont de plus en plus dépassées dans la plupart des régions du pays et pourraient ne plus être de circonstance en raison des nouvelles pressions environnementales» liées aux nouveaux besoins des acteurs économiques et institutionnels «qui s'affrontent» pour accaparer cette richesse. Le problème s'aggravera, selon la TRNEE, avec les changements climatiques dans plusieurs régions, ce qui exigera du Canada qu'il transforme sa manière de gérer ses ressources en eau alors qu'il est déjà «à court de capacité et d'expertise».

La CMI invite de son côté tous les gouvernements et États à adopter des programmes de surveillance et de suivi des dizaines de milliers de puits forés depuis l'ère industrielle «pour éviter la contamination croisée des [nappes] aquifères et empêcher que les eaux de surface contaminées entrent en contact avec les eaux souterraines», un problème tout aussi négligé à l'extérieur du bassin des Grands Lacs.