Le Devoir 2010.06.18 par Louis-Gilles Francoeur
Le Canada incapable de gérer son eau
Deux rapports publiés hier, l'un portant sur les eaux souterraines du bassin des Grands Lacs et l'autre sur les eaux de surface de tout le Canada, démontrent que la protection de l'eau constitue un défi croissant, qui dépasse présentement la capacité de gestion des gouvernements.
Les conclusions les plus explicites dans ce domaine apparaissent dans le rapport de la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie (TRNEE), financée par Ottawa afin de réorienter les politiques environnementales et économiques.
Pour la TRNEE, «à l'échelle nationale, la gouvernance ne permet pas actuellement de réagir à l'augmentation prévue de la pression sur nos ressources en eau. Cela tient surtout à la complexité de la mécanique gouvernementale, à l'incohérence des approches à l'échelle du pays, à la fragmentation des politiques, au manque de ressources et à l'insuffisance des capacités techniques, scientifiques et stratégiques».
Cette incapacité des gouvernements à faire face aux défis de l'eau au cours du prochain siècle est d'autant plus critique que le secteur des ressources naturelles canadien accapare actuellement 84 % des eaux brutes, un pourcentage qui n'inclut pas les secteurs hydroélectrique, pétrolier et gazier. Or, précise le rapport, le secteur des ressources, qui représente 12,5 % du PIB canadien, devrait croître de 50 à 60 % d'ici 2030, ce qui exercera une pression croissante sur les ressources en eaux de surface dans plusieurs régions où leur disponibilité est déjà problématique.
Et, ajoute le rapport de la TRNEE, la gestion de l'eau est d'autant plus compliquée que cette ressource, qui appartient aux provinces en vertu de la Constitution, est notamment gérée par 20 organismes fédéraux régis par 11 mesures législatives. Si chaque province a mis en place des permis d'utilisation de l'eau, dont la valeur est variable, chacune, sauf l'Ile-du-Prince-Édouard, partage une partie de ses eaux souterraines ou de surface avec ses voisines ou les États-Unis.
C'est d'ailleurs précisément le problème de la gestion des eaux souterraines communes du bassin des Grands Lacs qu'aborde dans un autre rapport la Commission mixte internationale (CMI). Cet organisme est responsable des eaux limitrophes en vertu d'un traité canado-étasunien centenaire, modernisé à quelques reprises.
Le bassin des Grands Lacs abrite environ 20 % des eaux douces de la planète. Ses eaux souterraines sont évaluées à 4920 kilomètres «cubes», soit l'équivalent du contenu du lac Michigan! De la salubrité de ces eaux dépend la sécurité des 8,2 millions de personnes qui s'en abreuvent des deux côtés de la frontière, principalement des ruraux, sans parler des écosystèmes qui en dépendent aussi en cas de sécheresse, du bétail qui y satisfait 43 % de ses besoins, et des industriels qui en tirent 14 % de leur approvisionnement.
Mais ces eaux souterraines, qui rechargent les Grands Lacs et ses milieux humides, «obtiennent moins d'attention qu'elles ne devraient» de la part des gouvernements, selon la CMI. Il faudrait améliorer là aussi leur gouvernance en déterminant avec précision les facteurs qui jouent «sur la quantité et la qualité» et qui pourraient aussi «améliorer la surveillance et la gestion des données, réglementer l'utilisation des terres, les installations autonomes [septiques] de traitement des eaux usées, les exploitations intensives d'engraissement du bétail et les puits abandonnés» par les minières et les exploitants du pétrole et du gaz.
La CMI se dit particulièrement inquiète des problèmes de contamination des eaux souterraines par les bactéries et les virus provenant des installations agricoles, par les décharges de déchets dangereux et les milliers de puits mal bouchés. L'augmentation des rejets d'agents pathogènes, de nutriments, de toxiques chimiques, de pesticides, de métaux lourds, de produits ménagers, d'hormones, d'antibiotiques, de produits pharmaceutiques et de sels de voiries s'ajoutent à de vieilles menaces qui semblent malheureusement anodines, comme les décharges de petites municipalités rurales, les cimetières, les carcasses animales enfouies, les dépôts atmosphériques de toxiques provenant des milieux industriels, l'exploitation des sablières et carrières, l'embouteillage de l'eau et la production d'éthanol, riche en engrais et pesticides. Et cette liste n'est pas exhaustive...
Ce que la CMI voit comme problèmes dans le bassin des Grands Lacs l'amène à recommander aux gouvernements de protéger en priorité toutes les sources d'eau souterraine potable même si elles ne sont pas utilisées. Il faut aussi, dit-elle, intégrer les règles de conservation dans les règlements et les ententes sur les prélèvements d'eau. Les installations septiques autonomes devraient obligatoirement être inspectées cycliquement et mises au niveau des normes, ce que le Québec ne fait pas tout, comme il ne protège pas, sauf en surface, ses prises d'eau municipales, un autre problème soulevé cette fois par le rapport de la TRNEE.
Pour la TRNEE, les méthodes d'attribution des eaux de surface «sont de plus en plus dépassées dans la plupart des régions du pays et pourraient ne plus être de circonstance en raison des nouvelles pressions environnementales» liées aux nouveaux besoins des acteurs économiques et institutionnels «qui s'affrontent» pour accaparer cette richesse. Le problème s'aggravera, selon la TRNEE, avec les changements climatiques dans plusieurs régions, ce qui exigera du Canada qu'il transforme sa manière de gérer ses ressources en eau alors qu'il est déjà «à court de capacité et d'expertise».
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